Alors ça suffit. Ce matin là, j'ai ouvert, j'ai tout regardé.
J'ai d'abord observé mes mains, usées de tous ces mots que je ne dis déjà plus. J'ai porté mon regard au plus loin que j'ai pu. J'ai respiré. La tête vide, le cœur au calme. Et j'ai vu, tout y était. Ce matin là, intact.
En premier dans mon bagage, j'ai déposé, des couches de lumières, celle qui te fait des jaunes d'or, tu sais, le numéro 07308 de la gouache en tube, comme tu n'en n'as jamais vu. Cette chose faite, j'ai alourdi le tout avec des tons gris, des avions, des fleurs de Tiaré, sans oublier les Flamboyants, des secrets de gamines, des poupées Russes, et cette sacrée marionnette cassée qui ne me quitte pas. Avec la chanson qui berçait mes sommeils d'enfant. J'ai même déposé quelques clichés jaunis. Et les questions sans réponses.

Bon, ne pas s'émouvoir et remplir cette malle.

Ensuite j'ai tassé des années de va et vient, des chaleurs torrides, la brousse, mes longues couettes brunes, des départs, des éléphants, mon air espiègle, des piste empoussiérées, ma voix cassée, mes peurs de la nuit sombre. Des piscines bleues lagons, des boubous colorés, des koras endiablées. Des maisons claires, des jardins clos, des fêtes et des ivresses de bonheur. Puis des nappes blanches, quelques marguerites, des airs de Mozart et les mots de Ferré. Sans oublier mes nu-pieds. Le chapeau de l'hôtesse de l'air, la 404 rouge, l'herbe verte en été, les bottes de foins, les petits matins frais, le retour au pays, les rentrées des classes, ma corde à sauter, les tâches de rousseurs.

J'avais déjà une idée de la taille du bagage.

Soudain les éclats de rire me sont revenus, comment ne pas les oublier. Du coup je les ai aussi rajoutés. Les discussions sans fin, les feux de cheminée. Puis quelques pulls, tous noirs, mes bottes, mes carnets de notes, mon appareil de photo. Après les saisons se sont imposées et le chant des oiseaux. Le ciel si bleu. Les orages, aussi. Les premiers baisers, les boums, ma première cigarette. Le temps qui passe. La mer qui ne me quitte jamais. Toujours plus forte, encore plus fidèle. Un peu de sable, quelques cailloux, une branche d'olivier, un caramel salé.

Il faut que tout tienne dans ce baluchon.

J'ai aussi attrapé quelques gros chagrins histoire de ne pas tout abandonner. Et les peines, celles-là ! Lourdes et tenaces, les saletés, elles ont voulu venir aussi. Puis il y a les photos des enfants, la robe de mariée, la bague bleue, la statue en ébène, mon jonc en or, des lettres parfumées, des rubans jaunes. Soudain une mèche de cheveux, un recueil de Saint John Perse, une dent de lait. Et encore enfin, ce cd de Jarret, un billet pour le concert à Juan les Pins, des bas noirs, ma robe à fleur, le foulard en soie rose. Le bruissement des draps froissés, le murmure des promesses jamais tenues, les mains qui se caressent, les yeux qui s'aiment, les sourires complices, les corps exaltés. Les larmes quand on se quitte, le flacon de parfum, les honoraires de l'avocat, les verres brisés, les maisons vides, les volets que l'on ferme, la solitude.

Comme il restait un peu de place, audacieuse, j'ai entassé mes pensées douces, les mots que je n'ai pas su dire, les élans retenus, mon vélo, des clefs, un sac à dos, les frissons sur ma peau, les envies, mes désirs, une tablette de chocolat, mes lunettes de soleil, les œuvres complètes de Char, les projets à venir, la mer, et toi, peut être…

Ce matin là, j'ai vite fermé. Tout ça c'était un peu trop. Ce matin là, j'ai ri, j'ai pleuré. J'ai tout compris. Alors ce matin là, je suis partie. La valise pleine. Ça suffit, c'est ma vie.

Texte et Photo  M@claire© Droits réservés




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